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Rapport Ruffin/Bonnell : vers une loi pour valoriser l’animation périscolaire ?

Chapo

Les députés François Ruffin (LFI) et Bruno Bonnell (LREM) ont présenté le 24 juin le rapport de la mission parlementaire d’information sur les métiers du lien, consacré entre autres aux animatrices et animateurs périscolaires. François Ruffin nous en présente le contenu, qui débouchera sur une proposition de loi à la rentrée.

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François Ruffin, député de la 1ère circonscription de la Somme (La France Insoumise), et Bruno Bonnell, député de la 6e circonscription du Rhône (La République en marche), ont conduit depuis fin 2019 une mission parlementaire d'information sur les métiers du lien : accompagnante d'enfant en situation de handicap (AESH), assistante maternelle, auxiliaire de vie sociale (AVS) et animatrice périscolaire. Le rapport de cette mission a été présenté le 24 juin à l’Assemblée nationale. Ce document de 148 pages aborde entre autres les conditions de travail des animatrices et animateurs périscolaires mais on y découvre surtout 42 propositions pour améliorer le statut et le revenu de quatre métiers qui tissent du lien entre les personnes. François Ruffin nous en dit plus dans cet entretien exclusif.

Le Journal de l’Animation : La mission parlementaire d’information portait sur les AESH, les assistantes maternelles, les auxiliaires de vie sociale et les animatrices périscolaires. Pourquoi ne pas avoir élargi aux animatrices extrascolaires ?

François Ruffin : La mission s’est intéressée à quatre métiers, qui tissent du lien entre les personnes, mais qui sont tous par ailleurs des temps partiels contraints, très largement occupés par des femmes, et dont les rémunérations se situent en dessous du salaire minimum mensuel, qui malgré une forte amplitude horaire les placent sous le seuil de pauvreté. Au final, le rapport de la mission traite également des animatrices travaillant sur les temps extrascolaires correspondant à ces critères : le mercredi, les vacances...
Nous voulions rendre visibles des métiers qui tissent quotidiennement du lien, aux faibles revenus et à faible statut. Même si, nous en sommes conscients, il existe bien d’autres métiers du lien : député en est sans doute un, tout comme vous journaliste, ou encore les enseignants, mais ici avec un statut et des revenus. Les animateurs en centre socioculturel, par exemple, bénéficient d’un temps plein, et avec un revenu, même si leur salaire n’est pas mirobolant...

JDA : Dans la synthèse du rapport, on lit : "la modernité, encore plus que le numérique, ce sont ces métiers du lien". Cela sous-entend-il que nos choix, nos actions aujourd’hui ne sont pas ou plus assez tournés vers l’humain ?

François Ruffin : Ces métiers du lien sont le continent invisible de la modernité. Ils ont émergé et se sont développés tout au long du XXe siècle, dans le soin, dans l’enseignement… Et pourtant, on identifie la modernité, au XXe siècle, à la voiture, à la télévision, à l’ordinateur.
De même ce sont des métiers d’avenir, et pas uniquement parce qu’il y aura de plus en plus de personnes âgées. Dans les 10 métiers d’avenir, aux États-Unis, on trouve les développeurs informatiques, oui, la pose de panneaux solaires... mais également nos métiers de liens, aides à domicile, assistantes maternelles. Ces métiers seront l’avenir, mais quel avenir ? Avec notre mission parlementaire, nous voulions montrer ces invisibles de la société, leurs conditions de vie précaires, le mépris dont elles font l’objet.
C’est, pour moi, un combat social : sortir des centaines de milliers de personnes de la pauvreté. Un combat féministe : ce sont des emplois occupés à 85 % par des femmes, et le raisonnement inconscient de la société c’est, au fond : "S’occuper des bébés, des enfants, des malades, des vieux, elles l’ont toujours fait gratuitement à la maison, là on les paie un peu, elles vont pas se plaindre en plus." Mais c’est pour moi, aussi, un combat écologique : le progrès, demain, dès aujourd’hui en fait, ce sont les liens, et plus les biens.

JDA : Le rapport compte 42 propositions, dont cinq propres aux animatrices périscolaires. On y parle de construire de vrais temps pleins, d’harmoniser vers le haut les rémunérations… et du besoin d’élaborer des statistiques nationales spécifiques à l’animation en milieu périscolaire. Cette absence de chiffres n’a-t-elle pas rendu difficile votre travail d’investigation ?

François Ruffin : Nous avons procédé à des auditions à l’Assemblée nationale, des tables rondes, des visites sur le terrain, à Dieppe et à Amiens, ainsi que, confinement oblige, à des contributions écrites de professionnelles. Personne n’était capable de nous donner des statistiques sur l’animation périscolaire, pas même les ministères ! C’est une preuve de l’invisibilité de ce métier, du mépris que la société leur porte : elles ne sont pas comptées, car elles ne comptent pas.
De même, le terme "périscolaire me pose problème : il induit que l’école est au centre, juste que l’animation fait de la décoration autour. Alors que "animation" est en lien avec l’âme, c’est donner la vie, et c’est essentiel. On sait très bien que des enfants vont souffrir en classe, que ça sera dur pour eux, qu’ils ne se sentiront pas valorisés… Si jamais, par l’animation, on leur insuffle de l’envie, une passion, que ça se passe bien avec les animatrices, qui procurent au-delà des activités de l’affection, de l’écoute, ça rejaillira sur l’école. C’est peut-être exagéré mais, à mes yeux, si l’envie est maintenue tout au long de l’enfance et de l’adolescence, le reste suit : la joie, le bien-être... C’est l’essentiel : trouver un truc où les jeunes seront valorisés, le ping-pong, la danse, la réparation de mobylettes…

JDA : La proposition 30 insiste sur l’importance de développer les temps d’échange entre les animatrices ainsi qu’avec les enseignants. Sur le papier c’est une évidence mais, en pratique, c’est un refrain difficile à mettre en œuvre : opposition des corps de métiers, temps de travail incompatibles...

François Ruffin : Avant tout, je tiens à le souligner : pour tous ces métiers, il faut revoir la comptabilité du temps de travail, qu’il ne soit pas mesquin, étroit. Il y a du temps de préparation, que nous estimons à 30 % du temps effectif, aujourd’hui non rémunéré… C’est comme si, en tant que député, on ne me payait que les 5 minutes que j’ai passées au micro à l’Assemblée nationale, sans tenir compte du travail produit en amont et après.
Donc, sur les temps communs avec les enseignants : il y a des écoles où tous travaillent déjà ensemble, où ça se passe bien. D’autres, moins bien… Si l’on inscrit ces temps dans les conventions collectives, cela fera bouger.
Soyons cependant clair : comment attendre du corps enseignant qu’il respecte les animatrices, qu’il leur concède un rôle éducatif si ces dernières sont méprisées et n’ont ni statut ni revenus ? Si leur formation s’arrête au Bafa, qui n’est en théorie pas un diplôme professionnalisant ? Il faut en faire un vrai métier, avec statut, revenu, y compris pour la reconnaissance par les tiers.

JDA : Le rapport parle aussi de « revaloriser les loisirs, indépendamment de tout enjeu scolaire ». Le dispositif des vacances apprenantes promu cet été dans les colos et accueils de loisirs ne va-t-il pas à l’opposé de cette proposition ?

François Ruffin : Je ne sais pas trop, je ne préfère donc pas m’avancer, surtout dans l’après confinement : dans ma circonscription, je suis inquiet face au décrochage scolaire de nombreux élèves, principalement au collège. Maintenant, sur le fond, mon intuition : ce n’est pas par l’école qu’on peut faire rejaillir l’amour de l’école. Les jeunes ont besoin d’un terrain où ils se sentent en confiance, valorisés, qui pallie une scolarité parfois difficile. "L’envie d’avoir envie", chantait Johnny, c’est ça qui ne doit pas s’éteindre…

JDA : "Réfléchir aux complémentarités avec d’autres métiers, pour éviter les coupures trop importantes dans les emplois du temps des animatrices et adapter les formations en conséquence." Cette proposition ne va-t-elle pas à l’encontre de la reconnaissance professionnelle attendue par les animatrices ?

François Ruffin : C’est du bidouillage, il faut l’admettre. À la fois, on cherche des principes pour structurer ces métiers, et en même temps, il y a le concret : comment on sort au plus vite des "vies de galère, salaires de misère" ? J’ai rencontré des jeunes femmes, qui aiment ça, être animatrices, mais qui renoncent à avoir des enfants parce qu’elles sont vacataires, parce qu’elles touchent 800 € par mois… Donc, voilà, on suggère un arrangement.
Puisque les professionnelles commencent souvent très tôt, travaillent sur le temps du midi, et reprennent en fin de journée… et que seules les heures en présentiel sont généralement payées. De notre côté, on a cherché des solutions pour amener vers un temps plein et un salaire plus décent. Par exemple, dans le cas des animatrices, on propose que les réunions de préparation soient comptabilisées dans le temps de travail effectif. Pour autant, cela ne déboucherait pas sur un temps plein. Ou encore, donc, regarder si sur le temps scolaire, il n’y aurait pas un métier proche, possible, complémentaire…
Pour les animatrices périscolaires, j’ai surtout un souci avec l’employeur, le financeur. En effet, c’est quasiment toujours la municipalité ou la communauté de communes, ce qui sous-entend que la politique mise en œuvre sur le temps périscolaire varie, et pas qu’un peu, d’un territoire à l’autre. Or, là-dessus, il faut une volonté nationale, une péréquation, aller vers une homogénéité. Imaginons maintenant que l’employeur soit l’Éducation nationale : cela apporterait de la cohérence aux temps de l’enfant, et cela permettrait de plus facilement faire bouger le statut des animatrices et leurs revenus. Ce ne sont que des pistes de réflexion que j’ouvre, que les professionnelles, leurs représentants, doivent creuser ou abandonner.

JDA : Comment et quand allez-vous porter ses propositions ? Je pense notamment à deux mesures  fortes : "prévoir que toute heure de travail effectuée entraîne la rémunération de l’ensemble de la demi-journée" et "prévoir l’obligation de proposer un CDD à une animatrice périscolaire qui aurait travaillé plus de six mois comme vacataire".

François Ruffin : Ces mesures ne semblent pas si fortes. Pour la première, par exemple, nous appliquons ce qui se fait en intérim et ce n’est pas le statut le plus protecteur qui soit…
Je suis un représentant. En cela, je fais surgir ce qu’on ne voit pas, ce qui est invisible… et c’est ce qui a motivé cette mission d’information et ce rapport. Mais ce n’est pas cela qui change la réalité ! Il n’y aura aucun changement réel si les acteurs ne portent pas eux-mêmes ce changement, en luttant, en faisant circuler des pétitions, des revendications, monter la pression... Le fruit ne va pas tomber tout seul de l’arbre, surtout sous ce gouvernement. C’est aux animatrices de le secouer !
Nous, Bruno Bonnell et moi-même, allons porter à la rentrée une proposition de loi sur ces métiers du lien. Il sera entre autres question des animatrices périscolaires : un article réclame que soient reconnues sur la feuille de paie les heures invisibles, ces fameux 30 % de temps de préparation.
C’est une proposition de loi minimaliste, mais ce serait un premier pas. Si elle n’est pas adoptée, et je fonde peu d’espoir, les lignes ne bougeront pas sous ce gouvernement. Pourtant, c’est primordial, car c’est par ces métiers du lien que passe le progrès humain.

• Le rapport de la mission parlementaire sur les métiers du lien peut être librement téléchargé sur le site de l'Assemblée nationale.

 

Métier

Titre :
Rapport Ruffin/Bonnell : vers une loi pour valoriser l’animation périscolaire ?
Auteur :
Florent Contassot
Publication :
28 avril 2024
Source :
https://www.jdanimation.fr/node/965
Droits :
© Martin Média / Le Journal de l'Animation

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