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Alain Serres : "Les jeux de création poétiques offrent du bonheur à ceux qui sont en échec scolaire avec les mots."

Chapo

Alain Serres est auteur de littérature de jeunesse, fondateur et directeur des éditions Rue du monde. Il nous livre dans cet entretien ses conseils pour faire vivre la poésie dans les structures d'animation.

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Le Journal de l’Animation : Pour bon nombre de personnes (enfants, jeunes, adultes), la poésie semble cantonnée au milieu scolaire, à une élite... Qu'en pensez-vous ?

Alain Serres : La poésie a beaucoup trop porté les habits de l'écolier, tellement calibrés et si enfermant. On l'a réduite à la récitation alors que ce sont deux activités humaines bien différentes ! On l'a cantonnée aux jeux de rimes alors que la gastronomie poétique dépasse largement les plaisirs faciles de la pizza de sons !
Et puis, surtout, une élite sociale se l'est réservée au fil des siècles, comme si c'était une langue étrangère dont tout le monde ne pouvait pas posséder la grammaire ! Et pourtant, nous avons tous et toutes besoin de la respiration poétique, la vie est si lourde sans elle. Cela peut-être la découverte d'un poème évidement (sans forcément avoir à le décortiquer !), mais aussi une capacité à regarder une image, un oiseau dispersant une flaque d'eau, un enfant qui cherche le plus lisse des cailloux contre sa joue…

La poésie est notre part intérieure de liberté et de lumière. C'est bon d'apprendre à s'y ressourcer, dès la jeune enfance et pour toujours.

JDA : Comment la rendre accessible ? vivante ? Par quoi cela peut-il passer (animations, expositions, poésie hors les murs, ateliers d'écriture...) ? Avez-vous assisté à des animations originales, singulières... dans ce sens ?

Alain Serres : En travaillant avec les enfants pour essayer de les mener à des productions poétiques, j'ai souvent été étonné de voir que ce n’étaient pas forcément les meilleurs élèves de la classe qui se distinguaient. Très vite, les enfants ressentent comme un espace de liberté, loin des règles de la syntaxe et de l'académie : on peut faire des répétitions, « oublier » de mettre des verbes, être incohérent du point de vue du sens ou de la logique… Faire naître un poème, cela revient un peu à ouvrir la porte du grand zoo des mots pour les laisser vivre. Et tous les jeux de création poétiques qui sont pensés dans cette direction offrent du bonheur à ceux qui sont parfois en échec scolaire avec les mots. Cela leur redonne de l'élan pour aller à la conquête de la langue. Je pense que les lieux consacré aux loisirs de l'enfant sont donc des espaces privilégiés pour partager la poésie.

Quelques belles réalisation vécues ? Sur quarante années d'activités, elles sont innombrables et ont toujours apporté autant aux enfants qu'aux l'adultes qui animent ces projets. Quelques exemples : ici on a réalisé des panneaux, grands comme des portes de classes, pour faire « la pub » de la poésie à partir de petites formules poétiques… Ailleurs, on a écrit à deux, un vers chacun… On a inventé des colliers de haïkus en reprenant un mot dans le haïku précédent… Belle idée aussi que de travailler sur la réalisation d'anthologies personnelles ; chacun fabrique la sienne en piochant dans une sélection de recueils de poèmes courts. On peut même penser à quelqu'un en particulier pour effectuer le choix (maman, un chat, mes grands-parents…). Mais où chacun se régale le plus, c'est quand il ou elle démarre un petit projet original (la poésie supporte bien la modestie des moyens techniques), à sa manière, presque une forme poétique inédite pour faire vibrer la poésie : des poèmes pour fêter le printemps sur des chapeaux en papier ? Une distribution de courrier poétique à la sortie du centre de loisirs ? Une expo de portraits dessinés avec des poèmes courts écrits sur les visages ? Etc.

JDA : Comment un animateur, sensible à la poésie, mais a priori pas « formé » à l'animation d'ateliers d'écriture, peut-il s'engager dans un projet de poésie avec son public ? Comment peut-il être médiateur ? Quels repères de posture pourriez-vous donner ?

Alain Serres : Une forme vivante peut rapidement donner satisfaction : la mise en scène de lecture de poèmes, par exemple. Lire à deux, à quatre, avec des « choristes » qui reprennent des formulations du poème. On peut se faire plaisir en déconstruisant le texte pour créer des effets (répétitions, niveaux de voix…). Les enfants et les animateurs y trouvent vite du plaisir.
On peut aussi jouer avec des traductions de ces poèmes ou en piochant des poèmes dans des accessoires simples, paquets de biscuits, parapluies, casseroles. Il ne faut pas hésiter à se lancer avec des poèmes courts, des structures simples. Ce qui compte, c'est le plaisir d'entrer ensemble dans ce vaste territoire des poètes même en passant par un petit trou de souris.

Un exemple concret, une aventure maintes fois réalisée à partir de l'album de Jean-Pierre Siméon Ceci est un poème qui guérit les poissons (). C'est une histoire, pas un poème (ça aide pour démarrer !) ; l'histoire d'un petit garçon qui voit son poisson rouge bien mal en point. Sa mère, pressée, lui dit : « Si tu veux le sauver, dis-lui un poème ! » Mais, pas facile de savoir ce que c'est qu'un poème. Il va donc interroger des tas de gens, dans la rue, dans les boutiques… Chacun lui répond par une courte phrase, peu claire, comme : « Un poème, c'est quand on aime. » Il revient impuissant devant le poisson : « Je n'ai rien compris, ils m'ont juste dit… » Et il énumère toutes les réponses qui, mises bout à bout, forment bien sûr un poème qui sauve son poisson ! Le jeu consiste bien sûr à recueillir des réponses autour de : « Qu'est-ce que c'est la poésie pour toi ? » parmi les amis, les adultes, les familles et former un beau poème collectif en retravaillant ensemble les réponses !

JDA : La poésie ne doit-elle être proposée qu'à l'occasion du Printemps du poète ? Quelles astuces pour les équipes d'animation pour la rendre accessible et/ou visible, audible ?

Alain Serres : Il ne faut pas rater l'occasion du Printemps des poètes ! La formule est belle et ce cadre très ouvert aide à l'implication de tous, chacun à sa manière. Cette année le thème en est « frontières ». Un sujet très ouvert pour faire voyager les mots avec des poèmes venus d'ailleurs ; Ne pas hésiter à préparer cela en consultant les bibliothécaires de la ville ou le bon libraire des environs. S'il y a dans une belle diversité des origines parmi les familles, on peut demander à chacun de rapporter les mots les plus poétiques venant de ces pays, dans la langue d'origine et en français. Cela peut constituer une bonne base pour produire ensemble de courts textes poétiques… ou, pourquoi pas, en faire une chanson, parce la chanson est un vecteur populaire de la poésie à ne pas négliger !

JDA : Quels nouveaux livres vont entrer dans votre catalogue à l'occasion du Printemps des poètes ?

Alain Serres : Je citerai deux nouveautés des éditions Rue du monde :
Monsieur Nez fait ce qu'il lui plait, de David Dumortier, illustré par Marie Poirier, une quarantaine de poème drôles pétillants autour du plaisir de jouer avec les mots, les sonorités et la fantaisie de nos imaginaires. Un très bon choix pour les 4/8 ans organisé autour d'un petit personnage principal qui voit de la poésie partout !
Quelques gouttes de pluie sur la terre, des minuscules haïkus sur la nature, du grand artiste iranien Abbas Kairostami, illustrés par une des plus grandes illustratrices iraniennes, vivant à Téhéran. C'est facile d'accès et touchant. Une très bonne première approche de ce qu'est la sensibilité poétique au monde. Dès 7 ans et pour tous.
On réédite aussi le délicieux Ceci est un poème qui guérit les poissons (cité plus haut) et l'excellent recueil de Carl Norac Le livre des beautés minuscules, tout en délicatesse.
Enfin, une référence importante à lire pour les adultes : La vitamine P, la poésie pourquoi, pour qui, comment ? Un essai de Jean-Pierre Siméon, regorgeant de pistes concrètes.

Propos recueillis par Isabelle Wackenier

Projets d'animation

Titre :
Alain Serres : "Les jeux de création poétiques offrent du bonheur à ceux qui sont en échec scolaire avec les mots."
Auteur :
Isabelle Wackenier
Publication :
27 avril 2024
Source :
https://www.jdanimation.fr/node/1175
Droits :
© Martin Média / Le Journal de l'Animation

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