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Interview de Sarah El Haïry – "Nous devons beaucoup aux animateurs !"

Chapo

Le 28 avril dernier, Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, chargée de la Jeunesse et de l’Engagement, a répondu à nos questions. Lors de cet entretien, elle a rappelé avec force et conviction son attachement à l’Éducation populaire et salué l’investissement des animateurs dans la chaîne de solidarité qui a permis à notre pays d’affronter la crise sanitaire.

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© Philippe Devernay
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Voici la version intégrale de cette interview, dont une version courte a été publiée dans Le Journal de l'Animation de juin-juillet 2021.

Le Journal de l’Animation : Vous êtes la première "ministre de l’Engagement". Après votre parcours dans l’économie sociale et solidaire, comment vivez-vous cette fonction dans ce gouvernement ?

Sarah El Haïry : Je suis très fière de dire que je suis le fruit de l’engagement associatif. Je suis issue d’associations d’éducation populaire et je me suis aussi toujours engagée, par exemple sur le plan syndical à l’université ou dans l’économie sociale et solidaire. C’est le fil rouge de ma vie : quel que soit l’endroit où l’on est, je crois que l’on peut apporter quelque chose, que l’on a tous une capacité à changer les choses… en s’engageant. C’est pour ça que le mot "engagement" apparaît pour la première fois dans un gouvernement : la marque d’une société qui ne se résigne pas, une société où chacun a pleinement sa place et sa capacité à agir.

Avec ce nouveau ministère, plus que jamais on reconnaît tous les temps éducatifs de l’enfant, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école. Je crois que l’éducation émancipe, quand l’école apporte l’éducation formelle, et qu’à côté l’éducation non formelle donne les outils pour prendre pleinement sa place dans la société. Être là, c’est dire qu’ensemble, l’école et l’éducation populaire sont les deux jambes qui permettent à un jeune d’avancer.

JDA : Au cœur de ce grand ministère de l’Éducation nationale, disposez-vous des moyens nécessaires pour promouvoir l’Éducation populaire ?

Sarah El Haïry : Le fait même d’avoir un grand ministère qui rassemble scolaire, périscolaire et extrascolaire nous permet de travailler encore plus en complémentarité. Prenez par exemple les vacances apprenantes : c’est l’un des dispositifs qui ont permis de faire vivre cette conjugaison, puisqu’on a fait des actions avec l’école (école ouverte), avec les ACM (colos apprenantes) et encore ensemble (école ouverte buissonnière). Que l’éducation populaire et l’école se complètent de manière réelle au plan institutionnel, c’est permettre une nouvelle force de frappe sur le terrain. Et il y a d’autres illustrations. Je pense bien sûr au Service national universel, qui repose de manière extrêmement innovante sur les organisations de jeunesse qui vont accompagner les enfants, mais aussi sur des enseignants et des associations qui représentent plutôt les corps en uniforme.

Concrètement, aujourd’hui lorsque je suis en comité de direction de la DJEPVA(1) (le cœur battant de l’éducation populaire, en tout cas en termes d’administration), on peut véritablement travailler sur des alliances éducatives entre tous les acteurs qui interviennent dans les temps de l’enfant. Notamment parce que les portes de la DGESCO(2) sont plus que jamais ouvertes, puisque c’est une volonté portée par Jean-Michel Blanquer lui-même. Il y aurait des difficultés s’il n’y avait pas nos deux volontés politiques de faire converger, celle du ministre de l’Éducation nationale et la mienne de l’autre côté. D’autant plus que ces volontés sont accompagnées par l’administration et soutenues au plus haut niveau du gouvernement. Nos derniers déplacements, avec Jean-Michel Blanquer et le Premier ministre, passent par les accueils de loisirs. Plus que jamais, à la fin de cette crise sanitaire, on aura vu à quel point l’objectif de la promotion de l’éducation populaire nous tient à cœur, combien l’éducation de nos enfants repose sur l’énergie et les compétences certes des enseignants mais aussi des professionnels de l’animation.

(1) Direction de la Jeunesse, de l'Éducation populaire et de la Vie associative.
(2) Direction générale de l'Enseignement scolaire.

JDA : La création des DRAJES (3) provoque beaucoup d’incertitudes sur le suivi du terrain par des agents situés dans les rectorats. Le partenariat local entre l’État et les associations peut-il survivre dans cette nouvelle organisation ?

Sarah El Haïry : Pour porter une politique assumée à la croisée entre école et extrascolaire, avoir des interlocuteurs qui comprennent et se comprennent, qui portent une continuité pédagogique et en font leur histoire est une nécessité. Pour moi, l’intégration des équipes « jeunesse, engagement et sports » au sein des rectorats permet plus que jamais un rapprochement entre les services et un lien plus efficace. La création des DRAJES est une étape, longtemps souhaitée par les CEPJ(4) : elle rattache les acteurs associatifs et les personnels à la maison mère, en quelque sorte. Après, et je le sais parce que j’en suis une militante, ma responsabilité est de garder la particularité des corps d’inspecteurs et de conseillers, et de toute l’Éducation populaire, de sa culture et de son histoire, à l’intérieur du grand ministère Éducation nationale, Jeunesse et Sports.

Quant à l’inquiétude des acteurs de terrain, il faut leur dire qu’il y a un temps qui vient qui sera celui d’une revalorisation de nos métiers, de notre spécificité dans ce grand ministère dont le personnel est désormais réuni (les CEPJ et inspecteurs dépendaient jusque-là du secrétariat général des ministères sociaux). Nous allons le construire dans les mois à venir, le rendez-vous est pris.

(3) Direction régionale académique à la Jeunesse, à l'Engagement et aux Sports.
(4) Conseillers d'Éducation populaire et de Jeunesse.

JDA : Aujourd’hui les animateurs, en première ligne auprès des enfants depuis le début de la crise, sont découragés. Que comptez-vous faire pour manifester votre reconnaissance envers eux ?

Sarah El Haïry : Il faut avoir conscience qu’une forme de reconnaissance, c’était de se battre pour que les accueils de loisirs restent ouverts. À notre niveau, on a protégé l’école et les accueils de loisirs pour qu’ils puissent accueillir les enfants de ceux qui sont en première ligne. J’ai mis toute mon énergie pour soutenir les associations, souhaité et permis qu’elles aient les mêmes aides que toutes les entreprises. On a aussi créé avec le Fonjep un fonds spécifique. Pour celles qui n’ont toujours pas pu rouvrir, je crois que la confiance et là : on travaille ensemble pour la reprise.

Oui nous devons beaucoup aux animateurs : ils se sont mobilisés depuis un an, en appliquant des protocoles sanitaires hyper stricts, qui n’ont pas empêché la réussite des vacances de nos enfants. C’est pour cela que nous allons sur le terrain, quotidiennement, témoigner de la reconnaissance que nous avons envers eux. À plusieurs reprises, avec Jean-Michel Blanquer ou avec le Premier ministre, nous l’avons dit : notre pays n’a tenu que parce qu’il y a eu une chaîne de solidarité, et les animateurs, vous êtes des maillons forts de cette chaîne. C’est assez fou : vous avez permis la continuité de la vie, vous avez contribué à la continuité de la Nation. Si on prend encore les deux semaines des dernières vacances de printemps, les accueils de loisirs ont reçu plus de 150 000 enfants prioritaires.

À tous ces animateurs, à tous ceux qui ont permis que la chaîne de solidarité tienne, merci ! Un merci de la Nation, évidemment, un mot parmi les innombrables mercis qu’ils reçoivent quand un parent rentre de l’hôpital, d’un commissariat, pour prendre son enfant.

JDA : Cette crise fait aussi des dégâts chez les jeunes, qu’elle semble priver d’horizon. Quel message voudriez-vous voir relayé aux jeunes par les professionnels et les volontaires de l’animation ?

Sarah El Haïry : J’ai envie de leur dire : la France est une chance. On a la chance d’avoir dans notre pays un engagement extraordinaire des bénévoles, des associations, des animateurs… qui font tous vibrer notre commun. Nos animateurs, nos éducateurs sont des personnes engagées. On ne choisit pas ce métier par hasard. Ils permettent de faire vivre peut-être ce qu’on a de plus précieux dans notre pays, ils donnent à chaque enfant, chaque jeune, la capacité de construire son destin.

JDA : Il n’y a aujourd’hui aucune visibilité sur les colos cet été. Comment envisagez-vous les mois à venir pour les accueils collectifs de mineurs ?

Sarah El Haïry : Dès qu’on pourra, on boostera l’activité. Vacances apprenantes, c’était un point de départ. Ce soutien qui s’est élevé à 15 millions d’euros en plus du droit commun, ce n’est que l’illustration d’une confiance établie et d’une volonté de se retrouver, de relancer… et de repartir en colo.

Partir en colo, c’est démarrer un parcours de citoyenneté. On y découvre cette capacité à trouver son chemin, parce qu’on y rencontre une personne qui te fait confiance, qui te donne confiance en toi et qui va te pousser à trouver ce qu’il y a de meilleur en toi. Face aux transitions difficiles que vivent les jeunes, après cette année qui a bousculé toutes les familles, c’est la capacité des animateurs à transmettre l’élan, l’espoir… qui permettra à la jeunesse d’avoir l’énergie nécessaire pour repartir. Ainsi, tous les éducateurs sont des bâtisseurs d’avenir.

(NDLR : depuis cette interview, la reprise des colos a été annoncée pour le 20 juin, sans toutefois de précisions supplémentaires pour le moment)

JDA : Pour terminer, vous qui connaissez si bien le rôle des associations dans notre pays, comment expliquez-vous alors que l’idée du contrat d’engagement républicain (CER) est plutôt ressentie comme une crise de confiance entre le gouvernement et le monde associatif ?

Sarah El Haïry : Cette incompréhension ne doit pas perdurer. L’État est dans son rôle lorsqu’il entend nous prémunir collectivement contre tous les risques qui peuvent dévoyer la structure associative en tant que telle. À aucun moment il ne s’agit de jeter la suspicion sur l’ensemble du monde associatif, mais bien d’agir contre ceux qui essaient de le fragiliser, en se dotant de bases juridiques solides, tant pour les associations que pour les élus locaux.

Il y a des gens aujourd’hui qui ont des idéologies qui ne veulent pas spécialement faire la promotion d’un commun, ni permettre de mieux vivre ensemble. Le CER est un bouclier qui nous protège de ceux-là, qui essaient de pervertir ce magnifique trésor de la loi 1901. Il va permettre à toutes les associations, qui ne se contentent pas de respecter les principes républicains mais qui les font vivre, de continuer à agir pour les défendre, avec l’énergie de leurs bénévoles qui œuvrent pour l’intérêt général.

J’ai participé à beaucoup de concertations qui ne sont pas finies. Le ministre de l’Intérieur a reçu aussi nombre de représentants d’élus ou d’associations. Je viens du monde associatif, je sais ce qu’on doit aux associations, elles sont nécessaires à notre cohésion. Cette année est une année particulière, on va fêter les 120 ans de la loi 1901. Pour cet anniversaire je vais continuer à travailler pour lever tous les freins, toutes les incompréhensions. J’ai vu très récemment la nouvelle présidente du Mouvement Associatif. Il y a encore beaucoup de questions autour du décret. Je ne considérerai que nous avons réussi que quand le mot suspicion n’apparaîtra plus.

JDA : On vous a vue très bouleversée par l’échange avec les jeunes des centres sociaux à l’automne à Poitiers. Pourquoi avez-vous réagi si vivement ? L’inspection diligentée a-t-elle permis d’éclairer autant le ministère que la Fédération des centres sociaux sur cet événement ?

Sarah El Haïry : Alors, d’abord, moi je crois à la force du dialogue, de l’échange. C’est important de rappeler que cette inspection ne concernait pas la parole des jeunes. Par contre, je crois aussi à la responsabilité de ceux qui accompagnent nos enfants. Quand tu es animateur, éducateur… tu as entre les mains un trésor… Ainsi l’inspection portait sur la manière dont ont été conduits les travaux pendant ces quatre jours. L’inspection générale qui a rendu ce rapport l’a fait de manière professionnelle et indépendante : elle a été sur les faits, elle a auditionné mon cabinet, les responsables de la Fédération des centres sociaux, des jeunes présents, des éducateurs… Un véritable travail d’écoute de plusieurs semaines.

Et ce rapport, que montre-t-il ? D’abord que la Fédération n’a, d’une certaine manière, pas suffisamment mis en valeur ce qu’elle a dans son ADN, sa charte fédérale, et évidemment son attachement à la laïcité, par son histoire. Par ailleurs, c’est la sous-traitance de l’animation du séminaire à la Boîte sans projet qui se révèle non pertinente. Cette association, qui a des compétences reconnues pour animer un débat entre jeunes n’avait pas, de manière objective, d’expertise sur le thème des religions. Ce que le rapport illustre c’est qu’aujourd’hui, quand on a des enfants entre les mains, on a plus que jamais le devoir de ne pas revendiquer des positions partisanes ou non neutres.

Nous voyons que notre jeunesse bouillonne de questions, de volonté de comprendre. Je crois que cette situation démontre qu’il faut outiller plus fortement les animateurs, les éducateurs, les médiateurs… en tout cas tous ceux qui accompagnent des jeunes.

Propos recueillis par Marc Guidoni

Titre :
Interview de Sarah El Haïry – "Nous devons beaucoup aux animateurs !"
Auteur :
Marc Guidoni
Publication :
5 octobre 2024
Source :
https://www.jdanimation.fr/node/1046
Droits :
© Martin Média / Le Journal de l'Animation

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