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Pourquoi un tel turnover dans mon équipe ?

Chapo

Maintenir une équipe d’animation dans le temps ne va pas de soi. De nombreux directeurs expriment leurs difficultés à ce sujet, ce qui les contraint à régulièrement repasser par la case « embauche ». Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer le trop courant « turnover » ?

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« Je passe mon temps à chercher des animateurs », lâche Christophe, qui dirige l’accueil de loisirs de cette petite commune rurale. « Ils s’en vont tous ! J’en ai marre de tout recommencer à chaque fois ! », dit quant à elle Naïma, qui dirige un secteur enfance dans une commune péri-urbaine. Emmanuel, qui a un poste équivalent dans une collectivité locale, s’interroge pour savoir s’il existe des cycles pour parler de la vie d’une équipe, tant il a pris l’habitude de recruter une majorité de nouveaux animateurs, de les former sur une période « moyennement longue », puis de les voir partir presque tous en quelques mois, le contraignant à recommencer.

Les fatigues se ressemblent, les processus sont apparemment identiques : on parle aujourd’hui, de manière assez courante, de turnover dans les équipes, comme s’il s’agissait d’un phénomène nouveau qui se répand partout. À bien y regarder cependant, on observe des différences.

Nous allons commencer par évoquer les hypothèses exogènes, afin de n’en faire pas trop cas ici, sans pour autant les minorer. Ces hypothèses consistent à attribuer à des phénomènes hors de soi la responsabilité principale de ce à quoi nous avons à faire face.

Les hypothèses exogènes

L’animation est un métier plus difficile qu’il y paraît. Il impose notamment d’être en relation avec des enfants en permanence, d’occuper des postes dont les horaires sont régulièrement atypiques, de subir des contraintes d’organisation qui peuvent peser lourd, en lien notamment avec les dimensions politiques et territoriales de l’activité… sans oublier un niveau de rémunération plutôt faible et peu propice à de grandes évolutions. L’animation est un métier qui peut attirer parce qu’il paraît facile à pratiquer a priori. Puis il s’avère être un métier à part entière, qui nécessite des connaissances, des méthodes, des compétences et des savoir-être spécifiques. Il peut donc y avoir des déconvenues qui émergent assez rapidement. De nombreuses personnes qui accèdent à ce métier « par hasard » ou par convenance personnelle le quittent assez rapidement.

Si l’on réfléchit en termes économiques, on pourrait dire qu’il y a plus d’offres d’emploi que de professionnels disponibles. Ceci a deux effets : le premier est donc, comme nous venons de le mentionner, d’attirer des personnes pas forcément destinées à exercer ce métier à long terme. Le deuxième est que les professionnels savent qu’ils peuvent assez aisément changer d’employeur (même si la donne n’est pas la même en fonction des territoires ; quand une famille se fixe sur un territoire rural, la mobilité de ses membres est souvent impactée). Enfin, les difficultés d’exercice peuvent provoquer, on le voit régulièrement, des souhaits de réorientation professionnelle.

Tout ceci souligne les causes qui n’appartiennent pas à l’employeur. Ce sont des causes exogènes ou environnementales. Diriger aujourd’hui une organisation dont l’activité est l’animation, c’est se situer dans un secteur professionnel plutôt instable, qui subit de fortes pressions locales et nationales (la réglementation, le lien avec l’Éducation nationale…). C’est nécessairement intégrer que non seulement une part non négligeable de l’énergie que déploient les cadres est dirigée vers l’extérieur, mais qu’en plus, il convient de gérer l’impact en interne de ces pressions diverses.

Or, et nous le constatons souvent, le temps manque pour s’occuper de l’interne. On pourrait dire que bien souvent, les directions sont accaparées par la gestion des pressions externes d’une part (qui donnent naissance notamment à d’innombrables travaux d’ordre administratif), et l’organisation matérielle d’autre part. À ceci s’ajoute dans certains cas qu’il faut exercer tout cela dans le cadre contraint d’un contrat à temps partiel, ou qu’il faut, au pied levé, assurer certaines tâches dévolues justement au salarié qui vient de partir.

Les besoins individuels

Nous allons évoquer maintenant ce qui, dans la pratique managériale, peut parfois conduire au départ des personnes. Attention, en aucun cas il ne s’agit de dénoncer ou de porter un jugement, ni d’énoncer la liste des choses à faire pour que tout fonctionne, comme si c’était si facile. Il s’agit plutôt de rappeler, de souligner, ce qui fait l’oxygène et la santé des organisations. Les êtres humains ont des besoins, et se dire qu’on n’a pas le temps de les satisfaire n’est clairement pas une réponse possible. La tâche difficile d’un directeur est de veiller à la satisfaction des besoins des personnes qu’il manage, faute de quoi celles-ci n’iront pas bien, et/ou elles partiront.

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Pour qu’une personne s’inscrive de manière durable dans une organisation, on va donc évoquer les besoins qui sont les siens. La première condition, bien sûr, est que cette personne ait pour projet a priori de rester un moment, par exemple parce que le métier lui plaît et qu’elle souhaite l’exercer durablement.

Explorons maintenant les besoins à satisfaire.

1 – Le besoin de structure

Ce besoin de structure se satisfait par l’énoncé d’un contrat clair, dans une organisation claire : on sait qui fait quoi, on sait ce qui est attendu de la part de chacun en termes de contribution, on est capables d’exprimer les résultats observables que l’on escompte. Il est utile de nommer les niveaux d’objectifs qui sont visés, et particulièrement les tensions apparentes entre différents objectifs ou différentes nécessités. Par exemple, sur le terrain de l’animation, on opposera souvent la réalité économique à la réalité pédagogique. Pourtant, on peut aussi bien avoir l’objectif de démontrer la viabilité financière d’un service à la population et celui de développer un projet pédagogique innovant.

On ajoute l’idée d’une certaine constance dans ces éléments de structure. Par exemple, on constate sur le terrain que si l’on modifie trop souvent les « qui fait quoi », les horaires ou les lieux d’exercice, il s’ensuit une fatigue et une démotivation. Les satisfactions des besoins dont on parle ici sont interdépendantes : la structure doit correspondre à un sens, or le sens est souvent renforcé par l’inscription dans le temps de certains éléments de structure.

De plus, il ne suffit pas qu’une personne ait reçu des informations claires à propos de ce qu’on attend d’elle pour que cela fonctionne. Elle doit aussi avoir connaissance de ce que font les personnes qui l’entourent, dont elle peut avoir besoin : elle doit savoir sur qui elle peut compter et pour quoi.

2 – Le besoin de reconnaissance

Il est classique d’entendre : « Je ne vais pas au travail pour obtenir de la reconnaissance ; j’y vais pour faire mon boulot ! » Pourtant, l’un de nos besoins fondamentaux est de recevoir de la reconnaissance. De quoi s’agit-il ? Reprenons la phrase ci-dessus. La suite assez courante, c’est : « Mais c’est quand même pénible qu’on ne nous dise que ce qui ne va pas. Quand on fait bien notre travail, personne ne nous le dit. »

La reconnaissance est une sorte de nourritu- re psychologique qui nourrit l’envie de faire. Un signe de reconnaissance montre que nous existons dans l’œil de l’autre. S’il est positif, il nous encourage à faire, encore et encore… à condition qu’il soit sincère, bien entendu. La reconnaissance, quand elle est uniquement négative, nous décourage, et finit par nourrir une image négative de nous-même et/ou des autres.

Manager, c’est donc connaître les besoins de reconnaissance des membres de l’équipe, et faire en sorte de les nourrir.

3 – Le besoin d’une communication claire

Une communication claire, c’est tout simplement une communication qui nomme ce qu’elle est censée nommer. Naïma dit souvent : « Je leur ai dit telle chose, je pensais qu’ils avaient compris ce que ça voulait dire… ». Et si on lui demande : « Mais pourquoi ne dis-tu pas exactement ce que tu veux ? », elle répond : « Je pensais qu’ils étaient assez intelligents pour comprendre. » De fait, il est vrai que nous rencontrons régulièrement des personnes qui comprennent ce que l’on veut dire, sans l’expliciter vraiment. Mais le reste n’a rien à voir avec l’intelligence. Chacun a son monde intérieur, ses cohérences, chacun fait ses liens et ses hypothèses. Ne pas deviner ce que dit quelqu’un signifie uniquement que l’on ne devine pas, et rien d’autre. En communication, il est utile de se souvenir que c’est bien celui qui émet un message qui doit s’assurer qu’il a été reçu tel qu’il l’espère. D’où l’utilité de ce qu’on nomme le feed-back : il s’agit simplement d’obtenir un retour, une reformulation par exemple, pour s’assurer que le message est bien passé. Il est naturellement de la responsabilité des cadres de promouvoir une communication claire, qui permet de nommer ce qui se passe, de faire des demandes, de partager son avis, de réfléchir ensemble. À mi-chemin entre la communication et l’exercice de l’autorité, on trouvera aussi la pratique du désaccord. Il doit être possible, dans toute organisation, d’être en désaccord et d’en discuter.

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4 – Le besoin d’une autorité saine

Les abus d’autorité sont malheureusement monnaie courante dans nombre d’organisations. Ils se manifestent, au premier degré et par exemple, par le fait d’imposer des solutions à des problèmes concrets de terrain sans prendre en compte le point de vue des premiers concernés, qui sont ici les animateurs et les animatrices. Une autorité saine, c’est une autorité qui est au service du collectif, que l’on peut nommer ici le collectif de travail. Une vision traditionnelle de l’autorité est qu’elle est une pression descendante : comme si seul le haut de l’organisation savait, le terrain devant se satisfaire de faire ce qu’on lui dit. Ceci peut être fait de manière assumée et presque saine, c’est-à-dire dans le respect des personnes. Mais finalement, cette vision prive les acteurs de terrain de leur autonomie et de leurs capacités à réfléchir et proposer : en ceci elle n’est pas satisfaisante pour les personnes qui la reçoivent.

Une autorité saine, c’est une autorité qui s’appuie sur une vision positive et respectueuse des personnes encadrées. C’est une autorité dont l’exercice n’a pas pour enjeu d’assurer le pouvoir d’une ou plusieurs personnes sur les autres, mais plutôt de contribuer au développement du pouvoir d’agir pour tous les membres de l’organisation. C’est, éventuellement, une autorité qui sait utiliser ce qu’elle sait et ce qu’elle sait faire pour permettre à chacun de mieux effectuer son travail. C’est une autorité qui sait réunir dans un même élan le souci des personnes qui produisent le travail et le résultat final, à savoir, dans l’animation, la qualité des activités.

Éviter… … mais plutôt
  • De s’attribuer toutes les causes.
  • De ne s’attribuer aucune responsabilité.
  • Accepter les conditions sur lesquelles vous ne pouvez agir, pour mettre de l’énergie sur celles que vous pouvez changer.
  • D’essayer d’atteindre l’inatteignable.
  • Accepter d’être un employeur passager pour certains et prendre soin, modestement, des personnes qui souhaitent durer dans le métier.
  • De gérer tout ça seul·e.
  • Regarder comment l’équipe peut elle-même contribuer à l’inclusion et à sa propre cohésion.

5 – Le besoin de sens

Satisfaire tous ces besoins ne suffit pas s’il n’y a pas de manière transversale, un sens. Le sens doit être partagé et répondre aux questions suivantes : à quoi contribuons-nous ? Pourquoi et pour quoi ? Quelle est notre vision du monde, des usagers, de notre place ?

Ceci est à la fois possiblement coconstruit et parfois plutôt descendant. Par exemple, dans une collectivité territoriale, ce sont les élus qui ont vocation à donner le sens des activités proposées par l’équipe d’animation… Ce sont eux qui sont censés délivrer cette vision globale, au sein de laquelle chacun va pouvoir trouver sa propre place, et définir son propre sens : le sens du projet collectif va rejoindre ici le sens que chacun donne à son action professionnelle.

Les besoins du groupe

Pour qu’un groupe fonctionne, il est donc nécessaire que les besoins individuels que nous venons de nommer soient satisfaits. À côté de ceux-ci, on peut reconnaître des « besoins collectifs ». Le besoin de cohésion, le besoin d’inclusion, le besoin de partager de la vision. Ces besoins sont interdépendants et leur satisfaction est le résultat de pratiques de partage et de communication, d’écoute.

Plus les membres d’un groupe auront l’occasion de satisfaire ces besoins en participant à des temps de travail collectif, plus en échange ils auront envie de contribuer.

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L’hypothèse endogène

L’hypothèse que nous avons faite ici, qui se nourrit d’années de rencontres avec des professionnels de l’animation, est que le turnover peut aussi s’expliquer par la non-réponse durable aux besoins des personnes. À plus ou moins long terme elles se fatiguent et se détournent.

En guise de conclusion

Le chemin à suivre à partir de là semble à la fois facile à comprendre et possiblement difficile à mettre en œuvre. Il s’agit, déjà, de ne pas prendre plus que sa responsabilité. Il y a des difficultés qui s’ancrent dans quelque chose de plus grand que nous. Ensuite, il s’agit de ne pas prendre moins que sa responsabilité : la tâche des dirigeants est souvent de « manager des contraires », de viser en même temps l’individuel et le collectif, le qualitatif et le quantitatif. Lutter contre le turnover, c’est peut-être se donner toutes les chances de donner envie aux personnes de rester en leur offrant un espace de travail plein de possibles, qui nourrit l’envie de résoudre plus que l’envie de s’enfuir.

Paragraphes

Ressources

• Livres

Les clés du dialogue hiérarchique, Madeleine Laugeri, InterÉditions, 28 € (2015)

Créer un climat relationnel sécurisant au travail, Marion Malaussena-Drosson, Eyrolles, 22 € (2023)

Titre :
Pourquoi un tel turnover dans mon équipe ?
Auteur :
Pascal Mullard
Publication :
15 décembre 2024
Source :
https://www.jdanimation.fr/node/2309
Droits :
© Martin Média / Le Journal de l'Animation

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